Monsieur,
J’avais entendu parler de la réputation de votre journal lorsque j’ai pris mes fonctions. Malgré plusieurs articles dénués d’objectivité et d’impartialité à l’égard de mon pays parus dans les colonnes de votre journal depuis mon arrivée et le refus de votre journal d’exercer notre droit de réponse, je tiens toujours à conserver ma conviction que votre journal fait du journalisme professionnel en raison de notre croyance en la liberté de la presse.
Cependant, je voudrais vous transmettre toute mon indignation face à l’article d’opinion publié le 24 avril en tant que contribution externe à votre journal par Nicolas Tavitian.
Chaque ligne de l’article de M. Tavitian est truffée de mensonges reflétant la haine de l’auteur concernant les Turcs, la Turquie et ses valeurs. Aborder et répondre à cet ensemble de phrases (car je ne parviens pas à qualifier ce texte d’article) qui n’est rien d’autre qu’un exemple notoire de sombre propagande, serait normalement une injustice à la réalité historique et à l’objectivité.
Néanmoins, dans le but de fournir la vérité à vos lecteurs qui pourraient se sentir affectés par ces mensonges et tout en prenant compte de votre opinion du 26 Avril intitulée « Dites-le à vos enfants » où vous mentionnez qu’il faut dire la vérité aux enfants, je me sens obligé de fournir le compte réel de la question une fois de plus.
Premièrement, concernant les allégations pathétiques de relier les nazis qui sont les auteurs de l’holocauste à Atatürk et aux évènements de 1915, je me dois de souligner que de telles allégations et distorsions des faits sont un non-sens total sinon une ignorance totale. Bien que je sache que l’auteur de ces mensonges en est bien conscient, je voudrais également rappeler que lorsque la Légion arménienne nazie dirigée par Garegin Nzhdeh a servi les nazis en perpétrant des massacres pendant la Seconde Guerre Mondiale, l’Etat turc ainsi que ses diplomates ont accordé des passeports turcs aux Juifs de l’Europe dans les pays où se trouvaient les missions turques pour les sauver des mains des nazis. Cette personne, Garegin Nzhdeh, a également massacré des Turcs et des musulmans dans les Balkans pendant la Première Guerre mondiale et plus tôt pendant la guerre des Balkans.
Des gangs arméniens comme les Dashnaks et les Hıncaks ont coopéré avec les forces étrangères avec qui les Ottomans étaient en guerre et se sont rebellés dans l’est de l’Anatolie, massacrant des centaines de milliers d’innocents. Dans le climat de guerre qui prévalait, le gouvernement ottoman a dû déplacer certains arméniens des zones frontalières pour des raisons de sécurité.
Cette relocalisation constituait une mesure normale à cette période, telle qu’elle était appliquée par de nombreux autres États. Ainsi, il est clair que tant les Arméniens que les Turcs ont souffert de ces conditions difficiles d’une guerre épouvantable.
Contrairement à ce que vous alléguez dans votre article, la discussion sur les événements de 1915 ne reste pas un tabou. La Turquie commémore toujours ces souffrances partagées. Notre président de la République tient un discours à cet effet chaque 24 avril. Dans ces déclarations, il souligne que la vérité des événements de 1915 ne peut être cachée et que ces faits ne peuvent être mis en lumière que par la science, l’histoire, le droit, le dialogue et la parole.
La Turquie a ouvert l’accès à ses propres archives il y a plusieurs années. Elle invite les autres pays à faire de même. Elle a également proposé de créer une commission mixte composée d’historiens turcs et arméniens et d’autres experts internationaux pour examiner les événements de 1915. Cependant, l’Etat arménien n’y a pas accordé la même attention. En particulier, certains groupes et États arméniens tentent d’éviter que la lumière soit faite sur ce sujet, et utilisent cette question pour des raisons politiques. Dans ce processus délicat, il convient que les pays tiers suivent une approche constructive. La déformation des faits et des évènements de l’histoire par certains États et politiciens pour des intérêts de politique étrangère à travers des récits biaisés du passé nourris par la haine n’est que déplorable et ne favorise pas un avenir promouvant une véritable culture du vivre ensemble entre les peuples.
Ce point a également été mis en exergue par le patriarche arménien en Turquie Sahak Mashalyan qui a souligné le 24 avril 2021 que la mémoire de leurs ancêtres était utilisée comme un instrument à des fins politiques au quotidien et que porter ce sujet à l’agenda des parlements ne contribuait pas aux efforts de rapprochement des deux peuples.
En outre, il faut aussi souligner que le mot «génocide» tel que défini dans la Convention des Nations Unies de 1948 est un terme juridique. Selon le droit international, l’évaluation des événements historiques en tant que «génocide» ne peut être faite que par un tribunal international compétent et en l’occurrence, il n’y a pas de décision de justice concernant les événements de 1915. En fait, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), dans sa décision du 17 décembre 2013 dans «l’affaire Perinçek c. Suisse», y fait non seulement référence, mais conclut également qu’«il est même douteux qu’il puisse y avoir un consensus général parmi les académiques et historiens sur ce sujet».
Enfin, c’est une mascarade et une hypocrisie de voir M. Tavitian essayer de dépeindre notre État et notre gouvernement comme brutaux et violents. Il ne faut pas oublier que plusieurs groupes terroristes arméniens comme l’ASALA ont massacré de nombreux diplomates turcs et leurs familles pendant des années au cours de leur mission à l’étranger, y compris notre attaché administratif M. Aksoy qui a été assassiné devant sa maison à Bruxelles en 1983. Il est également déplorable que beaucoup de meurtriers de nos diplomates n’aient jamais été traduits en justice à ce jour par les pays hôtes.
Au vu de ce qui précède, nous demandons à votre journal de ne plus autoriser de telles publications au service de la propagande et sur la base de récits historiques biaisés.
Dans ce contexte, je vous demande de bien vouloir publier les vues exposées ci-dessus par opposition à l’opinion publiée dans votre journal, tout en comptant sur votre journalisme objectif pour transmettre les réalités aux générations futures.
Cordialement,
Dr. Hasan Ulusoy
Ambassadeur